Article publié le 10 août par le blog « Dentelle et tchador » suite à la condamnation de sept membres de la communauté bahaïe :
En République islamique d’Iran, il n’y a pas que les opposants politiques qui sont condamnés à passer de longues années derrière les barreaux. Il y a aussi les minorités religieuses.
Sept adeptes de la foi bahaï viennent d’être condamnés à 20 ans de prison, a-t-on appris hier de source proche de cette religion fondée au XIXe siècle en Iran et que Téhéran tient pour hérétique.
Mais les charges restent les mêmes. Jamaluddin Khanjani, Afif Naeemi, Saeed Rezai, Behrouz Tavakoli, Vahid Tizfahm, mais aussi deux femmes, Fariba Kamalabadi et Mahvash Sabet, ont été condamnés hier à vingt ans de prison pour “espionnage,” “acte contre la sécurité nationale”, et “inimitié envers Dieu”. Ces sept personnes avaient été arrêtés en mai 2008 pour cause d’espionnage pour l’étranger, de propagation de la corruption sur terre, de minage de l’Islam et de coopération avec l’État d’Israël.
“Leur procès, qui a débuté le 12 janvier de cette année, a consisté en six brefs passages au tribunal, après qu’ils eurent été incarcérés sans charge pendant vingt mois”, explique dans un communiqué Bani Dugal, qui représente la foi bahaï auprès des Nations Unies. “Une période au cours de laquelle ils n’ont eu accès à leur avocat que pendant à peine une heure. Le procès s’est achevé le 14 juin”.
Les sept condamnés ont nié les charges retenues contre eux et envisagent de faire appel.
Alors que les minorités juives, chrétiennes, et zoroastrienne, sont officiellement respectées et bénéficient chacune d’un député au Parlement iranien, le bahaïsme est considéré comme une hérésie. Fondé en Perse en 1863 par Mirza Husayn Ali, alias Baha’u’llah, un noble persan considéré comme le dernier prophète en date de toutes les religions envoyé par Dieu sur terre, son but est d’unir tous les peuples du monde dans une cause universelle et une foi commune. Il s’attache à la promotion de la condition féminine, l’abolition des discriminations, et le dialogue entre les religions. Il compte plus de 7 millions d’adeptes dans le monde à travers plus de 200 pays. Son centre mondial est basé à Haïfa, en Israël. Plus grande minorité religieuse en Iran, avec 350 000 membres mais seule confession du pays postérieure à l’Islam, ses adeptes sont accusés d’apostasie et traités comme des «infidèles non protégés ». En Islam, le dernier prophète n’est autre que Mahomet.
Selon la législation iranienne, tuer un Bahaï n’est pas considéré comme un crime. 200 d’entre eux ont ainsi été exécutés depuis 1979, des centaines emprisonnés. Et c’est toujours le cas aujourd’hui. Selon les leaders bahaï, 47 de leurs membres seraient toujours actuellement emprisonnés en Iran, uniquement en raison de leurs croyances. Depuis l’arrivée à la présidence de Mahmoud Ahmadinejad en 2005, les membres de la communauté bahaï ont tous été identifiés et demeurent étroitement surveillés. Pourtant, ces persécutions n’ont pas uniquement eu lieu sous la République islamique. Ce fut également le cas sous le Shah et sous son père Reza Shah.
Les Bahaïs se démarquent du reste de la population musulmane par une remarquable vie intellectuelle. Parmi eux, beaucoup de médecins, cadres, ou artistes. Pourtant, en République islamique, ils ne sont ni autorisés à se rendre à l’université, ni même à travailler. « On ne me considère pas comme un être humain. Je suis forcée d’étudier clandestinement », m’avait affirmé en 2005 Samaneh, brillante Bahaï de 21 ans, qui connaissait sur le bout des doigts l’ensemble des “ghazals” du poète perse Hafez, avant d’être forcée de quitter pays et parents. Et la jeune Iranienne n’exagérait pas. Les Bahaïs sont interdits de retraite, et leurs enfants d’héritage. Pire, ils ne sont pas autorisés à inscrire un nom sur la tombe de leurs défunts. Quant à leur temples et cimetières, ils sont régulièrement détruits et profanés.
Dans une interview exclusive à “Dentelles et tchador”, le Docteur Foad Saberan, psychiatre bahaï français né à Téhéran, nous éclaire sans concession et sans langue de bois sur la seule religion officiellement persécutée en Iran…
Foad Saberan, pourquoi l’Iran a-t-il lourdement condamné ces sept Bahaïs?
On l’ignore pour l’instant. Cette condamnation pourrait illustrer les combats actuels entre les différentes factions (conservatrices) du Régime. Dans mon esprit, ils ont décidé d’impressionner la communauté bahaï. Ce que je peux dire, c’est que condamner à 20 ans de prison des Bahaïs, dont le plus vieux est âgé de 77 ans, équivaut pratiquement à une peine de mort.
Pourquoi la République islamique d’Iran s’attaque-t-elle aux Bahaïs?
Le projet de la persécution des Bahaïs existe depuis trente ans en Iran. Car cette religion représente pour la République islamique un risque idéologique. Pourquoi? Parce que cette foi, ayant été bâtie après l’Islam, remet selon eux en cause tout le système des prêtres musulmans chiites. Ce même raisonnement a déjà été pratiqué par les mollahs pour leur propre Islam qui, ayant été créé après le Christianisme, a d’après eux tout simplement annihilé celui-ci. Aujourd’hui, avec l’existence du Bahaïsme, ils n’ont plus qu’à fermer boutique. Et ils vivent ceci comme une injure. Or ce qui est intéressant, c’est que les mollahs iraniens ne se sont même pas donnés la peine de lire un seul Écrit bahaï. Ils se rendraient compte que cette religion n’a rien à voir avec l’Islam.
Pourquoi le centre mondial bahaï est-il situé à Haïfa en Israël?
C’est simple. Car c’est là, à Akka (Saint Jean d’Acre), près de la ville de Haïfa, située à l’époque en Palestine ottomane, que Bahaullah et ses fidèles ont été déportés, en 1868, de la ville de Constantinople. Et ils ont été interdits d’en sortir pendant plus de 40 ans. Bahaullah avait déjà été expulsé d’Iran vers Bagdad en 1853. De 1853 à 1868, lui-même et ses adeptes (qui deviendront en 1863 les “Bahaïs”) ont multiplié les allers-retours entre Bagdad et Constantinople, avant d’être à nouveau expulsés, cette fois en Palestine. Or les Mollahs affirment que les Bahaïs sont arrivés en 1868 à Haïfa pour y créer le Sionisme! Ce qui n’a aucun sens, l’État d’Israël ayant été créé…80 ans plus tard, en 1947 !
Où vivent actuellement les Bahaïs?
400 Bahaïs vivent actuellement en paix en Israël, en tant que servants des sanctuaires bahaïs, mais ils n’ont pas la nationalité israélienne. Il existe sept millions de Bahaïs à travers le monde: des Américains, des Congolais, des Français, des Brésiliens, des Indiens…qui élisent leurs dirigeants mondiaux siégeant à Haïfa. Les Bahaïs d’Iran, au nombre de 300 000, représentent donc à peine 5% de la communauté bahaï mondiale qui est gouvernée par des non-Iraniens. Voilà pourquoi, contrairement à ce que souhaitent faire croire les mollahs, cette religion n’a rien d’une affaire iranienne.
Comment sont actuellement traités les Bahaïs en République islamique?
Il est très difficile par exemple pour un Bahaï d’enregistrer son enfant à sa naissance, beaucoup de Mairies n’en voulant pas. Les enfants bahaïs sont considérés comme de réels “bâtards”. Selon les directives de l’éducation nationale, ils sont soumis à l’école primaire à d’intenses pressions pour les amener à renoncer à la foi de leur père. Jusqu’en 2000, ils n’avaient pas le droit de passer le bac. Depuis, ils ont l’autorisation de passer le concours d’entrée à l’université, et même de s’inscrire à la fac.
On assiste donc une réelle amélioration de leur situation…
Pas du tout, deux-trois mois après leur inscription, tous sont peu à peu expulsés de l’université pour mille et un prétextes. Défauts dans leur dossier d’inscription, manquement à un cours… Il y a un mois, un décret dans un journal officiel iranien a annoncé que “les adeptes des religions non reconnues”, c’est à dire les Bahaïs, n’avaient pas leur place à l’université.
Comment expliquer alors que les membres de la communauté bahaï sont relativement cultivés?
Les bahaïs ont toujours des universités à eux, créés par leurs membres. Il est fondamental dans l’idéologie bahaï de prier et d’acquérir du savoir. Mais ils ne peuvent malheureusement étudier que des disciplines ne réclamant aucun travail en laboratoire. Par conséquent, il est actuellement impossible aux Bahaïs en Iran de devenir médecin ou dentiste.
Qu’en est-il de l’accès au marché du travail pour les Bahaïs en République islamique?
Les jeunes Bahaïs deviennent donc ultrasavants mais ultraprécaires, le Régime interdisant à tout employeur d’engager des Bahaïs. Mais il existe heureusement une solidarité de plus en plus active dans la société iranienne entre Musulmans et Bahaïs, qui leur permet tout de même de s’en sortir. Par exemple, alors qu’il est interdit à un épicier ou à un boulanger de vendre ses produits à un Bahaï, ils réussissent tant bien que mal à les fournir en les livrant dans la soirée.
Et Quid des droits de l’homme?
Théoriquement, le meurtre d’un Bahaï est considéré comme “halal” (licite) en Iran. Or loin d’assister à des assassinats permanents de la part du peuple iranien, on constate que depuis trente ans, seul le Régime islamique tourmente les membres de la communauté bahaï. En les expulsant de leurs maisons, en brûlant leurs moissons et en détruisant leurs cimetières.
Pouvez-vous nous en dire plus?
Les Bahaïs n’ont plus de tombeau. Le cimetière bahaï de Téhéran a été rasé, hormis le marbre des tombes parce qu’il était récupérable. Ils ont construit au-dessus un Centre d’Études islamiques, autour duquel ils ont planté des arbres. Et il n’est pas étonnant qu’ils poussent très bien…
Mais que deviennent les corps?
Parfois, certaines tombes son vidées. Mais la plupart des corps restent sous terre, sans véritable sépulture.
Cela veut dire qu’un Bahaï qui meurt aujourd’hui en Iran, n’a aucun endroit pour être enterré?
Enterrer un Bahaï aujourd’hui en Iran demeure extrêmement difficile. La seule solution reste de les inhumer loin de la ville, dans le désert, dans des cimetières clandestins. Mais même dans ce cas, les familles sont parfois suivies par les services secrets iraniens pour déterrer les corps. Pourtant depuis l’avènement de la République islamique, seuls une vingtaine de Bahaïs iraniens ont renoncé à leur foi. Ils ont obtenu en échange de nombreux cadeaux de la part du Régime. Mais nous gardons de très bonnes relations avec eux. Un Bahaï peut renoncer du jour au lendemain à sa religion (ce qui n’est pas le cas d’un musulman iranien).
Les Bahaïs ont également été persécutés sous le Shah n’est-ce pas?
Le Shah était une personnalité compliquée. Il lui arrivait de s’appuyer sur le travail des Bahaïs, relativement bien éduqués, comme les ingénieurs. Or il les maltraitait aussi pour apaiser ses relations avec le Clergé. En 1955, une quinzaine de Bahaïs sont morts sous le Shah. Des crimes qui n’ont pas été organisés par le gouvernement, mais celui-ci n’a pas pour autant poursuivi les assassins. Autre discrimination, en 1965, le Shah a réclamé aux Institutions bahaïs d’énormes taxes sur leurs propriétés avec effet rétroactif.
Que pense la population iranienne, en majorité musulmane chiite, des Bahaïs?
Les milieux éduqués protègent les Bahaïs en Iran. Les membres de la communauté étant de facto des convertis depuis au maximum trois générations, beaucoup de leurs familles, qui sont elles restées musulmanes, aident leurs proches bahaïs. Quant au petit peuple, il croit de moins en moins l’intense propagande gouvernementale anti-bahaï. Il faut dire que les reportages fabriqués de toute pièce par la télévision d’État iranienne ne font pas preuve de beaucoup d’imagination. Il y en a notamment un qui a récemment expliqué que la télévision britannique BBC (British Broadcasting Corporation) signifiait en réalité “Bahaï Broadcasting Corporation” et qu’elle était inféodée à la BBC, et donc à Israël.
La situation des Bahaïs en Iran s’est-elle aggravée sous Ahmadinejad?
Mahmoud Ahmadinejad ayant été un membre actif de la secte messianique des “Hojatieh”, il n’a en tête qu’une seule idée: juguler le Bahaïsme, ce qui constitue un des fondements de cette secte. D’ailleurs, l’organisation des Hojatieh a été créée en 1952 sous le nom “d’organisation contre le Bahaïsme”. Mais ils n’ont cependant jamais prêché le meurtre contre les Bahaïs. Ils préfèrent s’infiltrer dans la communauté pour mieux la combattre idéologiquement. Lors de la prise d’otage de l’ambassade américaine à Téhéran en 1979, les organisations étudiantes islamiques (dont a fait partie Ahmadinejad) avaient annoncé vouloir mettre la main sur des documents prouvant à 100% la collusion entre Bahaïsme et États-Unis. Or ils n’avaient rien trouvé…
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