Analyse de la situation en Iran publiée dans le numéro du 13 octobre de « Combattre pour en finir avec le capitalisme« , bulletin du Comité Communiste Internationaliste (Trotskyste).
Rien, ils ne savent rien, ne veulent rien savoir,
Vois-tu ces ignorants, ils dominent le monde.
Si tu n’es pas des leurs, ils t’appellent incroyant.
Néglige-les, Khayyam, suis ton propre chemin.
Omar Khayyam, Robaïya
Quatre mois après l’explosion révolutionnaire du 13 juin, où va l’Iran ?
Les défenseurs de la société bourgeoise et donc de l’impérialisme, lorsqu’ils s’expriment sur l’Iran, ne veulent voir dans la formidable explosion populaire du 13 juin à Téhéran et dans de nombreuses villes, qu’une banale « contestation » des résultats d’une élection pour la présidence de la république islamique. Or il s’agit de tout autre chose.
Quand des millions d’hommes et de femmes, semaine après semaine, envahissent les rues sans craindre d’affronter les forces de répression déchaînées contre eux, nul doute qu’il ne peut s’agir que d’un mouvement très profond. Un tel soulèvement ne peut que renouer avec la révolution iranienne de 1978-79 qui mit fin à la monarchie, au cours de laquelle le prolétariat joua un rôle dirigeant, et qui fut, dans le même temps, détournée, confisquée, disloquée et anéantie par la hiérarchie chiite et l’armée des 180 000 mollahs (prêtres), agents de sa politique, entre 1979 et 1981. Politique qui n’avait pu être menée à son terme qu’avec le soutien des impérialismes occidentaux et de la bureaucratie stalinienne (le Parti communiste d’Iran, Toudeh, s’est ouvertement associé au nouveau gouvernement « démocratique », contre les aspirations révolutionnaires des masses et tous les courants qui les incarnaient).
L’impérialisme s’inquiète et les grands de ce monde se demandent comment étouffer dans l’œuf cette révolution renaissante. Le porte-parole de la Maison Blanche qui qualifie Ahmadinejad de « président élu », constate : « Il a été investi, c’est un fait ». De son côté le gouvernement français a déclaré avoir « pris note de l’élection de M. Ahmadinejad. » Quant à la légitimité de « l’élu » du 12 juin, Washington se demande si le vote était « équitable ». Toutefois, déférente, la Maison Blanche ne cesse d’en appeler au « respect mutuel » de la république islamique et des Etats-Unis. Quant à la France de la Ve république, elle n’a pas de ces états d’âme puisque le Quai d’Orsay a rappelé que « la France ne reconnaissait que les Etats et non les gouvernements ». Autrement dit, il est hautement souhaitable pour ces messieurs que les ayatollahs restent au pouvoir le plus longtemps possible à Téhéran.
C’est précisément ce qui devient de plus en plus impossible. Nous ne sommes plus en 80-81 où le parti religieux, avec l’appui politique des staliniens du parti Toudeh (parti du travail créé de toutes pièces par la bureaucratie du Kremlin au début des années 40), des formations petites-bourgeoises (Fedayin guérilléristes, Moudjahidin du peuple maoïstes et d’autres groupements dont ceux, affiliés au « SU » et au SWP américain devenu castriste, et se réclamant frauduleusement du trotskysme et de la IVe Internationale), sous prétexte d’un prétendu « anti-impérialisme » des ayatollahs, vint à bout de la révolution.
Aujourd’hui, le mouvement est inverse. Car la révolution se cherche encore : elle doit s’organiser et s’armer politiquement contre les islamistes. Mais elle proclame déjà, par la voix de millions de petites gens, qu’il lui faudra mettre à bas un pouvoir honni, haï et méprisé en pulvérisant son appareil de répression, les sinistres pasdaran (l’armée des gardiens de la révolution) et autres bassidj (la milice islamique), la police secrète, les nervis à la solde du régime et l’armée elle-même.
Hamid Taqvee, dirigeant du PCOI : « Premières secousses d’un régime agonisant »
Comme l’affirme Hamid Taqvee, dirigeant du Parti communiste-ouvrier d’Iran (PCOI – WPI en anglais) – parti dont le CCI‑(T) soutient le combat et suit avec attention l’orientation qu’il développe – dans un message au peuple d’Iran diffusé dès le 13 juin :
« Ce que notre parti n’a cessé de répéter est maintenant clair aux yeux de tous : le régime de la république islamique n’a pas organisé des élections libres, il n’est pas réformable. Il doit être renversé totalement. Ce à quoi nous assistons aujourd’hui n’est pas l’après-coup des élections, mais les secousses d’un régime agonisant ».
Néanmoins, après plus de trois mois de lutte, la chute de la république islamique n’est pas encore une réalité. Pourtant chacun sait, en Iran, comme les peuples du Moyen-Orient qui subissent et refusent la loi réactionnaire de l’Islam politique, que l’effondrement du régime se produira tôt ou tard. S’ouvrira alors une formidable crise révolutionnaire qui, elle-même, devra trouver sa conclusion positive en portant au pouvoir un gouvernement ouvrier et paysan.
Et plus le temps passe, plus les masses manifestent leur détermination, sous des formes moins spectaculaires qu’au début de l’été mais tout aussi réelles, et plus le régime se décompose. Les ayatollahs du sérail ne cessent de se vouer les uns les autres aux gémonies sous l’œil du fossoyeur, le prolétariat iranien qui se prépare, avant d’entraîner sous son drapeau les foules considérables qui ont remporté une première victoire car elles ont vaincu la peur. C’est dire qu’à terme, les jours de la république islamique sont désormais comptés.
Vers une révolution prolétarienne ? Son prologue ? On ne voit pourtant nulle part apparaître des conseils ouvriers (des « shuras ») comme en 1978-79, il existe très peu de syndicats indépendants, et de fait clandestins et pourchassés comme les partis ouvriers, rétorque-t-on. D’aucuns doutent de la réalité d’une telle crise née d’un misérable trucage de l’élection présidentielle.
La position du mouvement ouvrier, dans une telle situation, n’aurait-elle pas du être le boycott du scrutin alors que les candidats en lice s’affirmaient tous comme les meilleurs défenseurs du système islamique ? C’est d’ailleurs ce que rapporte un dirigeant du Parti communiste-ouvrier d’Iran, Nasser Asqari, militant ouvrier connu, qui expliquait lors d’une récente discussion :
« En général, bien avant les élections, les syndicats ouvriers ont fait clairement savoir à leurs adhérents que l’élection ne concernait pas la classe ouvrière. (…) Différents groupes et syndicats, comme le Conseil des Femmes ou les travailleurs d’Iran Khodro (la plus grosse usine d’assemblage automobile au Moyen-Orient), ont publié différents communiqués à propos de l’élection. La majorité d’entre eux ont insisté sur la condamnation de l’élection qui ne concerne pas la classe ouvrière ».
L’essentiel, c’est que dès la proclamation des résultats, les masses se soient mises en mouvement et rassemblées au grand jour dans l’action politique contre le régime, aux cris de : « A bas la dictature ! », ouvrant une crise de régime. Il n’y a pas à s’en étonner car la plupart des révolutions commencent ainsi, à la faveur d’occasions fortuites imprévisibles. Il suffit que les conditions soient réunies pour que se produise parfois de façon impromptue une déflagration sociale de grande ampleur que personne n’avait prévue. C’est le cas aujourd’hui en Iran.
Trotsky explique dans la préface de son Histoire de la révolution russe :
« Le trait le plus incontestable de la Révolution, c’est l’intervention directe des masses dans les événements historiques. D’ordinaire, l’Etat, monarchique ou démocratique, domine la nation ; l’histoire est faite par des spécialistes du métier : monarques, ministres, bureaucrates, parlementaires, journalistes. Mais, aux tournants décisifs, quand un vieux régime devient intolérable pour les masses, celles-ci brisent les palissades qui les séparent de l’arène politique, renversent leurs représentants traditionnels, et, en intervenant ainsi, créent une position de départ pour un nouveau régime ».
L’apparition d’une situation révolutionnaire ou pré-révolutionnaire n’est pas seulement le privilège de l’Iran mais apparaît aujourd’hui dans un nombre croissant de pays : il y a peu au Mexique dans l’état d’Oaxaca, en Guinée, en Grèce, en Guadeloupe, tout récemment au Gabon, où les masses, là encore à l’occasion d’une élection truquée, ont exprimé leur exaspération face au maintien de l’ancien régime. Et de désigner l’impérialisme français comme le plus ferme soutien de « la dynastie Bongo ».
En Iran comme au Gabon, les masses ont voté contre le régime qui entend se maintenir en place et le font savoir ouvertement, à haute voix, défiant la puissance de l’ordre établi et quel qu’en soit le prix à payer.
Elles n’ont pas voté pour le programme d’une opposition qui ne saurait remettre en cause l’ordre établi ni le cadre d’une dictature haïe, mais elles ont tout bonnement utilisé les circonstances du vote pour leurs fins propres, radicalement opposées au maintien du régime dont elles endurent les pires souffrances.
Le maintien du régime iranien : une question de vie ou de mort, d’abord pour les masses
Et pourtant, tout avait été parfaitement mis au point par l’aile la plus dure et la plus déterminée de la féroce dictature que la hiérarchie chiite fait peser sur les peuples d’Iran depuis bientôt trente ans. Un véritable coup d’Etat avait été préparé par la clique dirigeante de la république islamique. Ahmadinejad, le président sortant, détesté par le peuple, était déjà « réélu» avec plus de 60 % des suffrages, avaient prévu les comploteurs, avant même que le premier bulletin ne tombe dans la première urne. Or le trucage des élections et l’annonce des résultats ont eu un effet pire encore qu’une défaite électorale redoutée par les clans qui se partagent la haute administration de la république islamique.
La perspective d’en finir pacifiquement avec « le guide » Khamenei et son poulain Ahmadinejad, a semblé un moment possible aux peuples de l’Iran qui se sont saisis de cette élection présidentielle. C’était là une illusion mais l’exigence de chasser les dictateurs au pouvoir, était devenue impérieuse pour des millions de petites gens écrasées par un régime devenu insupportable.
A l’annonce que tout allait continuer comme avant, la colère de millions d’hommes et de femmes éclata sans prévenir. Envolés les espoirs de la fin de l’oppression policière, de la conquête des libertés fondamentales, de la fin des discriminations de toutes sortes subies par les femmes, de la loi islamique qui prétend régler tous les rapports sociaux dans la république… Il ne restait plus que la rue envahie par les masses au soir du 12 juin avec une force contagieuse décuplée par la rage, non seulement à Téhéran, mais dès le premier jour, dans d’autres villes d’Iran comme Shiraz, Mashad, Tabriz, Khoramshar…
Cette explosion n’est pas sortie du néant.
Aux conditions de vie épouvantables faites à la population et rejetées avec violence, se sont combinées dans la dernière période une remontée des luttes de la classe ouvrière et de ses capacités d’organisation, signes qu’une période nouvelle s’ouvrait pour le peuple travailleur.
Car le bilan social des ayatollahs est éloquent : trente ans de malnutrition pour des peuples à la limite de la famine, une privation totale de liberté, un blocage des salaires et leur non-versement pendant de longs mois, voire des années ou jamais dans d’innombrables cas, tout un chacun, notamment les militants syndicaux et politiques, menacé d’une incarcération arbitraire à tout moment, un chômage massif frappant près de trois millions de travailleurs (30 % de la population active), une inflation annuelle de 35 % alors que les salaires ne bougent pas, le port du voile obligatoire pour les femmes, traitées en mineures dans tous les domaines de la vie, obligatoire aussi et pour tous, l’éducation coranique, la non reconnaissance des droits nationaux des minorités opprimées et particulièrement du peuple kurde, le développement d’un « marché noir à bon marché » pour l’écoulement des drogues telle que l’héroïne, les armes… Sans oublier d’innombrables condamnations à mort (environ 100 000 exécutions ordonnées par la « justice » islamique en trente ans), un million et demi d’Iraniens tués lors de la guerre Iran-Irak de 1980-88 qui a coûté 300 milliards de dollars…
A ce constat « statistique » s’ajoute un élément nouveau, et capital : dans la lente remontée ouvrière de ces dernières années, les travailleurs, malgré des obstacles quasi insurmontables, ont commencé à s’organiser de façon indépendante, créant des groupes de résistance un peu partout et parfois de véritables syndicats capables d’organiser des grèves et même d’obtenir satisfaction. C’est le cas à Iran Khodro, chez les travailleurs du cuivre et ceux qui occupent une position stratégique depuis toujours dans l’industrie pétro-chimique.
Prenons un exemple significatif, celui du syndicat des travailleurs de Vahed, (transports par bus de Téhéran), qui font parler d’eux depuis quelques années. Fondé en 1968 puis démantelé au début des années 80, « remplacé » alors par un syndicat maison « islamique », il se reconstitue en 2003 et, fort de ses 8 000 membres sur 17 000 travailleurs, il livre bataille en 2005, suite au licenciement de 17 de ses militants responsables, dont Mansour Ossanlou, devenu une figure emblématique de la renaissance d’un véritable mouvement ouvrier indépendant en Iran.
De très nombreux combats illustrent l’histoire de l’organisation depuis quatre ans : en dépit des arrestations en masse de ses adhérents et des travailleurs, des coups reçus, de la torture, des licenciements en masse, il tient, progresse, résiste, s’affirme et défie, du fait de sa simple existence, les autorités islamiques. Début janvier 2006, 700 travailleurs et adhérents du syndicat sont sous les verrous. La solidarité des syndicats de transport du monde entier et le soutien actif de 14 syndicats iraniens, eux aussi persécutés, les font libérer en février.
Ils participent activement aux manifestations de chaque 1er mai, moment fort de la mobilisation ouvrière tous les ans en Iran. Le dernier 1er mai, très durement réprimé dans tout le pays, a été un autre signe annonciateur du déferlement en masse de juin. La situation n’était plus tenable. L’affrontement était devenu inéluctable.
« A bas le dictateur ! », « A bas le régime islamique ! »
Les commentateurs de la presse bourgeoise internationale ne cessent de parler de « vague verte », voulant faire croire, mais ne trompant personne, que l’opposition islamique des Moussavi et autres Karroubi est à l’initiative des « protestations ». Ainsi « Le Figaro » du 6 août, faisant allusion aux émeutes étudiantes de Téhéran de 1999, « rapidement réprimées au bout de quelques jours », fait semblant de s’étonner de « la durée » de l’actuelle et incessante mobilisation en masse qui défie les forces déchaînées de la répression.
Or les mots d’ordre lancés dès les premiers jours de manifestations : « A bas le dictateur ! », « A bas le régime islamique ! » étaient suffisamment éloquents. Tout comme les pancartes brandies dans les rues lors des immenses rassemblements interdits du 20 juin (au lendemain du discours à contre-courant du « guide suprême » Khamenei qui tenta, mais en vain, de reprendre la situation en main, menaçant le peuple des pires représailles) : « Les prisonniers politiques et les étudiants doivent être libérés », « Nous ne voulons pas d’une république islamique ! » « Nous voulons le jugement des assassins des étudiants et du peuple ! », « Non à la violence ! »
Le Parti Communiste Ouvrier d’Iran, parti né de la réflexion et de l’action politiques de militants ouvriers tels que Mansoor Hekmat et Hamid Taqvee, à l’aide de la méthode de Marx dans les années 80 et 90, à partir du bilan de la révolution de 1978-81, a bien caractérisé la nature de l’explosion populaire. Le premier communiqué de nos camarades du PCOI ouvre la perspective immédiate du renversement de la dictature par les méthodes de la révolution :
« Les gagnants de cette « élection », déclare le PCOI, ne sont pas Ahmadinejad ou Khamenei, ou n’importe quel autre gang de l’état, mais le mouvement révolutionnaire du peuple pour les renverser (…). Aujourd’hui, l’absurdité et la futilité des réformes, du changement graduel d’un côté, et la légitimité de la révolution, de l’autre, gagnent du terrain, se renforcent dans la société. Les gens se préparent à la révolution ».
De son côté, dès le premier jour, le CCI-T saluait cet immense mouvement de masse qui ouvre la voie à la révolution prolétarienne renaissante en Iran après trente années de fascisme clérical, et son Bulletin Combattre pour en finir avec le capitalisme, n° 17 du 15 juin 2009, titrait : « Iran : A bas la dictature ! Vive la révolution socialiste ! »
La peur a changé de camp : tout redevient possible
Les masses iraniennes, en ce 13 juin 2009, ne pouvaient que renouer avec la révolution, leur révolution qui, sous les coups de boutoir de la classe ouvrière entraînant toutes les couches opprimées, avait chassé le chah en 1978-79 puis avait été détournée de ses objectifs, dévoyée, confisquée et finalement étranglée par le parti religieux porté au pouvoir par les classes possédantes, la bourgeoisie et les grands propriétaires fonciers.
Cette opération politique fut décidée par Washington, avec le soutien sans réserve des dirigeants de la bureaucratie du Kremlin et de leur agence locale, le parti Toudeh, ainsi que de l’aide empressée de l’impérialisme français. Le chah à peine chassé du trône et prenant la fuite le 16 janvier 1979, l’ayatollah Khomenei, véritable tête politique de la contre-révolution, quittait Neauphle-le-Château pour Téhéran dès le 1er février.
Il fallait d’urgence mettre en place un gouvernement provisoire contrôlé par les prêtres. Car les masses, lors des journées insurrectionnelles des 11 et 12 février, avaient détruit l’état bourgeois de fond en comble (essentiellement l’armée) et le vide politique, en l’absence d’un parti ouvrier révolutionnaire, ne pouvait être rempli que par… les religieux auréolés du prestige de s’être montrés, dans un passé récent, des opposants à Rezâ chah, à l’époque de son déclin.
Dans un pays tel que l’Iran, la faible bourgeoisie nationale, constituée essentiellement des commerçants très influents du bâzâr (et des grands propriétaires fonciers anciens et nouveaux) n’a jamais pu assurer sa domination de classe qu’au moyen du bâton brandi en permanence par la monarchie contre les masses ouvrières et paysannes et contre les peuples des minorités nationales avec le soutien du clergé chiite.
Il fallut néanmoins aux fascistes enturbannés trois années d’affrontements violents, de 1978 à 1981, pour écraser le mouvement des ouvriers, des paysans et des peuples des nombreuses minorités nationales disséminées sur l’immense territoire de l’Iran.
Aujourd’hui, ce sont ces mêmes « sauveurs » de la bourgeoisie qui sont eux-mêmes aux prises avec la formidable résurgence d’un mouvement qui ne peut que conduire les classes et les peuples opprimés à reprendre les problèmes de la révolution là où ils n’avaient pu être réglés il y a 30 ans. La peur a changé de camp et de ce fait tout redevient possible. Pour cela, il faudra tirer le bilan complet de la révolution de 1978-79 à l’aide de la méthode du marxisme.
Aujourd’hui, les classes antagonistes ont une conscience aiguë qu’un nouvel affrontement décisif se profile à l’horizon. La lutte sera âpre, longue et difficile et, à terme, la même question se posera : qui l’emportera, du drapeau rouge des travailleurs ou du drapeau vert de la contre-révolution fasciste empruntant les couleurs de la religion, drapeau et clergé aujourd’hui en déconfiture ?
La classe ouvrière iranienne se prépare à entrer en tant que telle sur la scène politique
Depuis plus de trois mois, le peuple iranien se bat les mains nues contre la dictature, sans être encore parvenu à la renverser, malgré une volonté farouche d’en finir avec ce régime d’un autre âge. La détermination et l’abnégation des jeunes et des femmes sont à cet égard politiquement significatives. Aux premiers rangs des manifestations et dans les affrontements, aux prises avec la férocité des milices du régime, ils continuent à combattre dans les quartiers et il y a longtemps qu’ils ont dépassé le cadre du système islamique dans leur lutte quotidienne.
Des partis politiques et des syndicats commencent à sortir de l’ombre et se reconstituent sans avoir encore la force d’abattre le régime, faute de pouvoir centraliser l’énergie révolutionnaire du prolétariat qui seul peut entraîner la population des villes et des campagnes. Si le peuple kurde n’a pas manifesté en masse, comme cela se passe partout ailleurs dans le pays, il a ouvert la voie en lançant le 19 août une grève générale qui, selon le PCOI, a connu un certain succès dans la plupart des grandes villes.
Chacun sait que le régime ne cèdera la place que contraint et forcé, qu’il ne pourra être balayé que par la mobilisation de millions d’hommes et de femmes s’élevant à un niveau supérieur de conscience et d’organisation. Il se peut que cela se produise à l’issue d’une insurrection ouvrière couronnant une longue grève générale, comme en 1978. Pour le moment la révolution continue à cheminer par d’autres voies, plus souterraines. Car l’essentiel pour les masses, en cet automne de 2009 – et elles savent que l’ayant fait une première fois il y a 30 ans contre la monarchie, elles peuvent le refaire – c’est de se préparer à la destruction de fond en comble de la république islamique et de son état.
Comme le fait remarquer Salimé Etessam dans La Vérité n° 589, de décembre 1979, « Iran : l’aube d’une révolution », c’est une caractéristique du mouvement révolutionnaire en Iran que d’être assez faiblement organisé, du moins dans la phase du regroupement de ses premières forces. Face aux syndicats policiers « ouvriers » créés par la monarchie, l’absence de syndicats clandestins caractérise le mouvement ouvrier sous la domination du chah comme sous celle des ayatollahs, même si quelques organisations ont pu se reconstituer ces dernières années comme nous l’avons vu et ce fait est d’une très grande importance.
Ce qui semble néanmoins être un trait constant du mouvement des masses resurgissant périodiquement contre la dictature en Iran, c’est son auto – organisation, sa spontanéité, l’absence d’une organisation ouvrière de masse, d’où l’émergence de cadres ouvriers qui n’appartiennent à aucun parti et qui deviennent des dirigeants de masse.
Cette particularité de la lutte de la classe ouvrière en Iran se retrouve dans le mouvement qui défie la dictature depuis le 13 juin 2009 et que celle-ci ne parvient pas à enrayer ni à briser.
Certaines indications fournies début août 2009 lors de l’interview du camarade Nasser Asqari, citée plus haut, permettent d’analyser le rapport actuel des forces en présence en Iran :
« Nous n’avons pas en Iran de syndicats ouvriers organisés comme dans les pays occidentaux, explique Nasser Asqari, mais nous avons des groupes de travailleurs qui sont très actifs, bien organisés et qui ont une influence positive dans la vie des ouvriers. Avant les élections, leur présence était indéniable lors du début du mois de mai 2009, avec l’appel de dix organisations du mouvement ouvrier, des syndicats ouvriers connus, des syndicats d’ouvriers licenciés ou de chômeurs, des sections d’entreprise, etc. Quoi qu’il en soit, un appel avait été envoyé à ces dix groupes et près de 3 000 à 4 000 travailleurs se sont rassemblés au parc Laleh et ont publié une déclaration radicale. (…) Depuis quelques années, les travailleurs ont fait de tous les 1er mai une journée difficile pour la république islamique ».
Nos lecteurs ont pu lire la Résolution du 1er mai des travailleurs iraniens (publiée dans CPFC, N° 17 du 15 juin 2009), élaborée par ces dix organisations ouvrières et qui est un véritable « programme minimum » exposant les revendications actuelles des travailleurs en quinze points. C’est là un point d’appui politique à partir duquel le prolétariat doit pouvoir s’organiser avant d’intervenir ouvertement pour son propre compte. La grève générale est une perspective sans doute indispensable et qu’il faut avancer dans la situation actuelle mais elle n’est encore qu’une perspective et l’on ne saurait déterminer dans quels délais elle sera effective.
Néanmoins il existe une différence importante comparée à la situation existant avant la chute du chah. La classe ouvrière, aujourd’hui en Iran, commence à s’organiser sur le terrain syndical et politique, et cela, à l’initiative et avec l’aide d’un parti, le PCOI, implanté dans les masses. Or un tel parti n’existait pas en 1978.
Aujourd’hui, il intervient activement dans la révolution renaissante et dès le 26 juin, rendait publiques « Dix revendications immédiates du peuple iranien ».
Il importe que soit avancé un tel programme démocratique avant même que la seule force capable d’entraîner la majorité du peuple travailleur, à savoir la classe ouvrière, se soit mise en mouvement. Mais revenons à l’analyse de la situation par le camarade Asqueri.
Après avoir noté « une augmentation des manifestations ouvrières lors de la dernière période de la présidence d’Ahmadinejad », Nasser Asqari poursuit :
« Le mouvement ouvrier n’est pas encore entré de façon organisée dans les manifestations, mais sa participation dans le futur aux côtés d’autres groupes du peuple facilitera le processus de renversement et d’effondrement du régime. (…) Je n’ai aucun doute que les syndicats ouvriers observent la situation pour trouver le meilleur moment pour intervenir et donner le dernier et principal coup fatal. Je pense que les groupes et syndicats ouvriers qui oeuvrent dans les coulisses devront apparaître au grand jour et appeler de larges groupes de travailleurs à sortir dans les rues avec les autres catégories. S’ils ne s’unissent pas à d’autres groupes et à la jeunesse dans des manifestations organisées, je pense que le mouvement ouvrier sera une fois encore trahi. Le mouvement ouvrier doit apparaître et prendre la direction et l’organisation de la protestation pour contribuer à son succès qui est une société socialiste ».
Eté 2009 en Iran : appels à la grève générale et indépendance politique du prolétariat
Le seul moyen permettant d’en finir avec le pouvoir des mollahs, c’est de préparer l’intervention organisée et consciente de la classe ouvrière. Encore faut-il le faire sur une orientation politique correcte. Début août a été lancé un appel-pétition à la grève générale au Kurdistan pour le 19 août, date anniversaire de la terrible répression militaire de 1979, à l’initiative d’organisations kurdes se disant « de gauche » et « progressistes » (le texte qui nous est parvenu n’en publie cependant pas la liste).
S’agit-il d’une sorte de « front populaire », une coalition de partis ouvriers et nationalistes bourgeois ? En voici des extraits :
« Il est temps que le peuple au Kurdistan se mobilise de façon indépendante et exprime notre protestation contre la république islamique et toutes ses factions politiques. Il est temps de hisser le drapeau rouge comme alternative aux drapeaux islamiques verts de Moussavi et de ses homologues de la république islamique. Il est temps de faire savoir à la population qu’il y a aussi une autre alternative politique ».
« En réponse à l’appel à une grève générale, nous encourageons tout le monde au Kurdistan à ne pas aller travailler, à ne pas ouvrir les magasins, pour que tous les bureaux, toutes les usines et tous les marchés soient fermés ce jour-là.
« Nous demandons aux partis politiques, organisations et individus, communistes et de gauche à se joindre à nous et mêler leurs voix aux nôtres pour soutenir le peuple du Kurdistan lors de cet important moment ».
Selon le PCOI, cette grève a été massive dans les villes du Kurdistan, comme Sanandaj, Kamyaran, Marivan ou Bokan et « doit être considérée, écrit le camarade Saeed Salehinia, membre de sa direction, comme une étape majeure dans l’unification de la lutte révolutionnaire contre le régime islamique. Des vagues de grèves dans des secteurs industriels stratégiques, (pétrole, pétrochimie), pourraient paralyser le régime islamique (…) Le processus de la révolution va évoluer quand ces grèves auront lieu et que le peuple d’Iran sera prêt à utiliser tous les outils à sa disposition contre le régime islamique ».
Qu’en est-il d’un autre appel lancé le 30 juin par un « groupe de militants ouvriers et sociaux en Iran », intitulé, « Ce pays est à nous ! » et qui se prononce pour la constitution de « conseils représentatifs indépendants afin que les représentants de différents lieux de travail et zones industrielles, de différentes villes et région, soient en contact les uns avec les autres » ? Ce texte qui semble au premier abord plus « radical » que celui des Kurdes, ne fait pas appel à la centralisation des organisations existant aujourd’hui, comme les syndicats et groupes politiques que décrit le camarade Nasser Asqari. Mais surtout, cet appel propose aux conseils ouvriers (shuras) le programme politique suivant :
« Si nous sommes organisés ainsi et que le gouvernement ignore nos revendications logiques, alors nous pouvons lancer une grève générale et montrer au gouvernement que nous sommes une force importante de la société. Car ainsi, ils n’auront pas d’autres choix que de nous accorder une vie décente et de partager les richesses et les profits avec le peuple en même temps que ses efforts ». (Souligné par nous)
Ainsi la grève générale n’aurait pas, dans l’esprit des auteurs de cet appel, pour objectif de chasser le gouvernement et d’abattre le régime islamique, mais de l’inviter à « partager les richesses » avec les travailleurs. Sur une telle orientation de collaboration de classe avec le régime en place, il est douteux que puisse naître, dans la situation actuelle de l’Iran, quelque organisation ouvrière que ce soit.
Des orientations petites-bourgeoises inspirées par le legs d’une politique stalinienne
Un tel programme qui, au nom des conseils ouvriers, n’offre comme perspective à la classe ouvrière que le dialogue avec ses pires ennemis, n’est pas très éloigné de l’orientation du parti stalinien Toudeh, qui écrit dans une déclaration publiée le 21 juin : « En élargissant et en organisant la lutte, nous pouvons mettre le pouvoir régnant sous pression ». Et le Toudeh qui ne veut surtout pas appeler à renverser le régime actuel en Iran, ajoute : « Nous demandons à toutes les forces nationales et à celles qui luttent pour la liberté de s’unir pour une cause commune et pour s’opposer aux plans du régime ».
Bref, il s’agit, comme en 1978, de réaffirmer la néfaste politique stalinienne d’union nationale des travailleurs avec la bourgeoisie « nationale ». « Partage », « pression », « union nationale » : cette « tactique » ne peut que conduire les masses à la soumission et à l’impasse.
Mais sur quel programme les travailleurs iraniens, ouvriers et paysans, peuvent-ils parvenir à faire chuter le régime, et qui peut mettre en avant un tel programme ? C’est ce que nous examinerons dans la seconde partie de cet article que publiera le prochain numéro de notre Bulletin.
Fabrice LEFRANCOIS, Combattre Pour en Finir avec le Capitalisme, le 22 septembre 2009
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